Accompagner un changement est un parcours parsemé d’embûches. Et c’est d’autant plus vrai que nos pratiques et le métier lui-même font partie du problème. J’ai déjà évoqué les pièges dans lesquels il est difficile de sortir et qui limitent notre marge de manœuvre. Voici un bref résumé ici.
La conduite du changement se fait quasiment tout le temps en mode projet (il n’y a qu’à voir les descriptifs de postes), ce qui a pour effet de nous plonger dans un système bloqué :
On démarre l’accompagnement au changement quand tout est déjà décidé (on a bien trop peur de prendre en considération ce que les acteurs ont à dire sur le projet).
On ajoute une couche de gestion “humaine" du changement au projet pour faire adhérer les parties prenantes, alors qu'on sait bien que ce qui compte, c'est comment le projet est mené, pas ce qu’on va faire en plus.
On embauche un expert du sujet sur le projet pour aider (consultant interne ou externe), ce qui part d’une bonne intention, mais il y a un revers à la médaille : les responsables se déresponsabilisent.
L’expert ajouté au projet se voit coincé dedans sans pouvoir adresser des problèmes plus larges, mais essentiels (ce qui bloque fait rarement partie du projet : jeux de pouvoirs, arrimages organisationnels, conversations évitées, etc.).
Chaque projet travaillant pour sa paroisse génère des actions multiples qui s’adressent aux mêmes acteurs et parties prenantes, favorisant incompréhension et saturation.
Conduire un changement se travaille beaucoup par étape : on commence par faire une analyse, un diagnostic de la situation avant de proposer un plan et de le mettre en œuvre. Façon de faire discutable dans un environnement où le changement est permanent, les validations multiples et le contexte turbulent.
Les plans sont souvent désuets avant même qu’on les mette en œuvre. Le changement est bien plus un mouvement, une vague dont il faut suivre le courant et qu’on peut difficilement contrôler.
Ceci s’applique aussi aux plans de communications qui sont souvent très linéaires, se focalisant sur l’information, oubliant le dialogue et l’échange.
Attachée au projet, la conduite du changement est vite aspirée dans les déploiements opérationnels, peinant à redonner du sens, souvent caché sous un énoncé de vision floue ou perdu dans les méandres du plan de mise en œuvre.
Pourtant, créer et maintenir le sens à partir d’une vision claire et durable fait partie intégrante de l’accompagnement au changement : travailler la vision, trouver les mots, penser à long terme, stimuler la prospective, etc. Mais il est rare que les experts change puissent atteindre ce sujet, réservé à la haute direction.
En réalité, ces pièges sont le résultat d’une culture hiérarchique et d’un modèle en cascade. La direction pense, le management suit et les employés exécutent. Alors, même si c’est un défi de proposer un autre modèle à nos organisations, en voici un.
(Notez que ce que je propose est tout à fait perfectible.)
Même si au départ le mode projet était une bonne idée, elle ne l’est plus aujourd’hui pour les raisons que j’ai évoquées plus haut.
Il est plus intéressant d’aborder l’accompagnement au changement comme une compétence, une habileté que chacun doit développer. En effet, tout le monde a un rôle à jouer pour bâtir la confiance envers le changement. Chaque geste compte et tout le monde doit en prendre conscience. Aborder la conduite du changement sous l’angle de la compétence, c’est responsabiliser les acteurs dans des comportements permettant la mobilisation des parties prenantes.
Proposition :
On sort les experts change des projets et on mise sur le développement de compétences de toute l’équipe projet. Objectif : le changement devient partie intégrante de la gestion de projet et pas quelque chose qu’on ajoute ou que l’on délègue.
Comment faire :
Au lieu d’allouer le budget change à l’embauche d’un consultant, on l’utilise pour une formation systématique de toutes les personnes impliquées dans le projet et pour du coaching d’équipe qui suivra la formation.
En sortant du projet, on sort de l’opérationnel. Ce recul permet de voir clairement un ensemble constitué d’une multitude de changements dessinant des routes interreliées en direction d’un objectif commun. On voit aussi que la mécanique est complexe et entièrement dépendante des relations humaines.
Proposition :
L’expert change devient coach de transformation, l’acupuncteur de la transformation ou des changements qui la composent. Il décèle ce qui bloque, sait remettre en mouvement des équipes, provoquer des conversations, faire voir des enjeux, faire émerger des solutions, clarifier des idées, questionner la vision, etc. Il devient coach de transformation.
Comment faire :
Le coach de transformation accompagne la direction dans son travail stratégique en veillant sur les angles morts, en anticipant les conséquences, en questionnant les décideurs et en intervenant là où les problèmes surgissent. S’il faut l’attacher à un organigramme, il pourra dépendre de la haute direction ou d’un secteur selon la taille de l’organisation.
Pour compléter ma proposition, je dois ajouter une chose essentielle : la construction collective des changements. En effet, si on cherche la mobilisation, il faut sortir de la culture hiérarchique et descendante. Il faut nécessairement que les gens fassent partie du changement et ne soient plus un maillon au bout d’une chaîne, exécutant ledit changement.
Proposition :
Le consultant change devient facilitateur pour faire émerger les solutions collectives. Il propose des mécanismes de coopération permettant la coconstruction dans le respect de la capacité des équipes et il favorise la circulation de l’information.
Comment faire :
Le facilitateur offre ses services selon la demande des projets et des programmes avec un seul objectif : le développement de la coopération.
Nous sommes un cordonnier bien mal chaussé. Notre métier est dédié au changement mais, nous ne changeons pas. Nos pratiques sont ancrées dans de vieilles habitudes et accrochées à des recherches et des théories d’une autre époque.
Arrêtons de nous cacher derrière le fait “qu’on ne peut pas changer le système” et “qu’on a toujours fait comme cela”, puisque c’est ce genre de formules que nous dénonçons tous les jours.
L’évolution est nécessaire. Il faut sortir de cette boîte dans laquelle on nous a enfermé et libérer la pratique pour répondre aux enjeux actuels.
Ma proposition tient en 2 volets.
D’une part, le métier a plusieurs avenues combinables à souhait :
Un formateur-coach qui a pour objectif de développer les réflexes de leadership du changement de toute personne impliquée dans les projets, favorisant ainsi une intégration de pratique.
Un coach de transformation qui se consacre au mouvement du changement, débloquant les situations au fur et à mesure, garant d’une vision globale et du recul nécessaire.
Un consultant facilitateur qui se focalise sur la coopération entre les équipes et les projets pour stimuler la création collective et la communication en continu.
D’autre part, la pratique devient un cercle vertueux dédié au sens et à la coopération.
Un cercle qui mise sur une vision claire, globale et porteuse de sens.
Un cercle centré sur la construction collective du changement pour permettre l’engagement et la mobilisation.
Un cercle dont la toile de fond est la communication, toujours présente dans une alternance d’informations et de dialogue.
Ma proposition se nomme ENGAGE-O, une démarche qui permet une remise en perspective et propose des principes qui sous-tendent une philosophie managériale.
Ce n’est ni une recette, ni une méthode, mais bien une démarche avec des principes et des valeurs. Pour cette raison, j’ai choisi le cercle pour la représenter. Elle n’a pas de début ni de fin, elle commence là où on en est et ne finit pas, restant présente dans l’organisation comme une culture.
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